La conversation commence, sinueuse : à mesure que je parle avec elle, je m’aperçois qu’il serait difficile de parler de sa peinture sans parler d’elle, de son passé, de tout ce qui lie ses toiles au monde. D’origine franco-polonaise, elle a grandi dans un théâtre d’avant-garde à Paris, vécu au Danemark ; nous parlons d’art contemporain, d’une artiste romaine pré-baroque, de la transcendance de la peinture à l’huile, des sorcières… Difficile de garder la ligne d’un entretien classique sur sa peinture. On a d’abord envie d’émonder, de garder des choses pour soi, on se dit que ça suffira pour présenter son travail. Et puis on s’aperçoit qu’on ne saurait bien parler d’elle sans parler de tout ça. Alors on note, commençant par le début.

Manifesto XXI – Peux-tu me parler de ta formation, en tant que peintre ?

Apolonia Sokol – Je suis née à l’hôpital Bichat [Paris], et j’ai passé une partie de mon enfance autour de Château Rouge. Mes parents avaient construit un théâtre dans les années 80 au cœur du quartier de la Goutte d’or, sur un ancien lavoir. J’ai aussi grandi au Danemark. Là-bas, je suivais des cours de modèle vivant. Il y avait en dessous de chez nous une galerie avec beaucoup de peintres ; je peignais avec eux. Puis j’ai loué une cave à Copenhague ; je travaillais à côté d’un groupe de dealers, accompagnés d’un pitbull.  À 17 ans, je suis allée à Düsseldorf pour voir l’école, rencontrer des peintres. Puis, je suis revenue en France voilà un peu plus de dix ans, et je suis rentrée aux Beaux-Arts de Paris.

Où as-tu vécu ?

Dans le lavoir dont mes parents avaient fait un théâtre. Le lieu existe encore ; c’est le Lavoir Moderne Parisien.

Tu as donc littéralement vécu dans un théâtre.

Et je me suis battue pour lui. En parallèle des cours aux Beaux-Arts je gérais le Lavoir : je me levais à sept heures pour nettoyer le parquet et accueillir les comédiens. Puis j’allais en cours. Le soir, je tenais la buvette. Un jour le Lavoir a été racheté par un promoteur immobilier, un marchand de sommeil qui désirait le raser. J’étais encore aux Beaux-Arts, j’ai dû aller au tribunal, pour revendiquer la loi de 1945 qui interdisant de détruire un théâtre. J’ai ensuite connu la précarité ; chambres de bonnes, HLM, etc.